vendredi 24 juin 2016

(prise en charge médicale de la douleur) Une simple hypothèse de recherche

Cher personnel médical et soignant,
piliers de notre charitable système de soins,
vous qui êtes les fondations scientifiques et morales de toute civilisation digne de ce nom,
votre dévouement à notre égard - humbles patients - n'a d'égal que la perfection de votre formation et la flamboyance de vos compétences.
SACHEZ-LE. N'EN DOUTEZ JAMAIS. JAMAIS JAMAIS JAMAIS.

Néanmoins, toutefois, cependant, à tout hasard, en passant, sans vous offusquer ni vous mettre en retard (vous sauvez des vies tout de même, et la mort n'attend pas, comme la fermeture de la cafèt'), j'aimerais - si vous n'y voyez pas d'inconvénients - soumettre à votre grande expertise un minuscule problème, que dis-je, une broutille de rien du tout, j'ose à peine continuer tant je me sens misérable de vous déranger pour si peu.
Mais j'ose quand même (la chaleur, la fatigue, les hormones, l'âge, la sénescence, la drogue, choisissez à votre convenance le motif caché de ma hardiesse).
Il se pourrait - simple hypothèse de recherche - que parfois, rarement, mettons à peine une fois par siècle, vous commettiez une erreur (SIMPLE HYPOTHÈSE DE RECHERCHE je le rappelle).

Imaginons une scène totalement fictive et surréaliste, impensable, ridiculement invraisemblable mais qui me servira d'exemple.
Imaginons disais-je, que la douleur soit toujours de ce monde (alors qu'on sait la traiter comme chacun sait, ce qui rend mon exemple hautement improbable certes, mais j'aime digresser sur des situations incongrues).
Imaginons enfin la situation suivante : un bébé atteint d'une pathologie douloureuse et chronique (comme si ça existait encore !, pfff) - l'ostéogenèse imparfaite - arrive aux Urgences (les patients, toujours pressés, toujours "moi je moi je moi je", bref les patients aux Urgences) pour une suspicion de fracture.
Aucune prise en charge de la douleur n'est effectuée (ce qui est logique, puisque comme chacun sait les fractures ne sont pas douloureuses, en tout cas rien ne l'atteste formellement dans les études menées sur les suppliciés de la roue et les jeunes enfants).

Le bébé, après cinquante minutes d'attente généreusement offertes par l'hôpital afin de lui offrir un repos bien mérité (mais dont il n'a pas su profiter, préférant hurler, brailler et pleurer comme tous les enfants mal élevés), est orienté vers la radiologie. Où il aura à nouveau tout le loisir d'attendre et se reposer (bien qu'il préfère brailler-bis, à croire que cet enfant aime le son de sa voix, ou c'est plus probable : embêter le personnel).

Le voilà confortablement installé avec sa fracture sur une surface dure, moment de pur bonheur et de ludisme puisqu'il s'agit somme toute de faire une jolie photo ! D'un membre cassé, qu'on doit manipuler pour être sûr que la photo soit belle, certes, mais les manipulations ne sont pas douloureuses sur les fractures, ouf. Encore moins sur les bébés atteints d'ostéogenèse imparfaite, qui n'ont que rarement des fractures (sinon ça se saurait, on n'est pas idiots tout de même).
Le bébé ne semble guère convaincu par la séance photo, et se débat (allez savoir pourquoi, ah les gosses..). Plus il se débat, plus il pleure et hurle (un peu comme s'il avait mal, mais ça semble peu probable).
La séance photo finit lamentablement : la photographe est frustrée ("Comment voulez-vous bosser avec des amateurs pareils ? Je suis photographe professionnelle !, j'exige des mannequins professionnels !"), et le bébé mis face à son terrible échec (encore un casting raté) ne trouve rien de mieux que de : vomir son repas.
(une légende ancienne raconte que des vomissements peuvent être consécutifs à une violente douleur, mais si on commence à croire les légendes..)
Les enfants ont décidément cette fâcheuse manie de ne pas se mettre à la place du personnel soignant, contraint d'assister à ce spectacle dégoûtant, et que dire du supplice de ceux qui devront nettoyer leurs sottises.

L'affreux bambin braillard retourne dans son box aux Urgences, attendre le salutaire diagnostic (en continuant à hurler, car les parents - incompétents notoires - étaient incapables de le calmer. Pensent-ils deux secondes à l'ouïe délicate de vos confrères ? Que nenni. Ah !, que vous avez bon cœur en soignant ces ingrats, vraiment, votre grandeur d'âme vous honore).
Le héros du jour (enfin de la nuit, c'est que le temps passe) arrive : l'interne.
Celui qui n'a (toujours) pas prescrit d'antalgiques (à quoi pourraient servir des antalgiques en cas de fracture ? Ne cédons pas aux demandes toutes plus farfelues les unes que les autres de ces badauds qui pensent que tout leur est dû, genre l'accès aux soins - et pourquoi pas gratuitement tant qu'on y est *lol*), celui qui s'est concentré sur l'essentiel : obtenir un cliché radiologique et transformer le doute qui l'étreint (c'est que les soignants souffrent eux aussi, ce sont des êtres humains) en certitude : la suspicion était-elle fondée ? FRACTURE OU PAS FRACTURE ? Le suspense est insoutenable, les parents tremblent, le bébé hurle (sa douleur sa joie) de découvrir enfin la vérité, l'interne est ému aux larmes : c'est une fracture ! Une belle ! Le fémur fait presque un V, c'est pas commun. Quelle chance a cet enfant de n'avoir pas dérangé l'interne de garde pour rien.
Et en effet, quelle chance a ce mignon choupinet bébé d'avoir une si grosse fracture et de pouvoir compter sur l'élite de la nation pour prendre soin de lui. Même si, sur le moment, il ne semble pas vraiment s'en rendre compte (les bébés sont un peu idiots, mais ce n'est presque pas de leur faute).

L'interne prend congé (laissant le bébé se reposer en hurlant) et va chercher conseil et soutien auprès de "son chef". Tous deux décident alors de poser un plâtre adapté aux fractures du tibia (c'est-à-dire de la cuisse au pied).. sur une fracture de fémur. Ce qui n'est pas gênant puisque le fémur et le tibia c'est pareil (c'est la jambe quoi, on va pas chipoter).
Voilà nos joyeux drilles des Urgences effectuant un plâtre (qui devra être changé deux jours plus tard, un orthopédiste hérétique ayant décrété que finalement non, un tibia et un fémur c'est pas pareil - allons donc), sur un bébé qui décidément n'est pas du soir et se montre peu coopératif.
Les premiers à en souffrir sont bien sûr vos éminents collègues et confrères du personnel médical et soignant : ils se sentent peu aimés, peu soutenus, et ne comprennent pas pourquoi cet enfant les rejette et pourquoi les parents semblent si sombres, presque menaçants. L'atmosphère est hostile, la tension émanant de ces patients désagréables palpable, mais que peuvent des médecins et personnels soignants face à la récompense éternelle et glorieuse du devoir merveilleusement bien accompli ? RIEN. Les voilà donc à pied d'œuvre, ignorant la peur, le danger, la douleur (la quoi ?), pour réaliser un plâtre que Picasso lui-même n'aurait pas renié.

FIN.
De cette histoire ridicule qui n'est qu'une base pour une hypothèse de recherche.
MAIS.
IMAGINONS.
(simple hypothèse de recherche, hein)
Que ce soit vrai.
Que cette histoire soit vraie.
Que la douleur existe toujours (lol).
Que les bébés puissent ressentir des douleurs (non mais allez, imaginez).
Que les fractures engendrent des douleurs référencées comme parmi les pires qu'on puisse ressentir.

Imaginons aussi que l'ostéogenèse imparfaite soit une pathologie particulièrement douloureuse (soyons fous), reconnue comme telle, et qu'il existe des protocoles antidouleurs en cas de fracture.

Bref, imaginons que d'un côté il y ait beaucoup de douleurs (au hasard, un bébé atteint d'OI et sévèrement fracturé au niveau du fémur), et de l'autre des anti-douleurs (au hasard encore : un hôpital rempli de personnel soignant et de médecins, qui peuvent prescrire des antalgiques et même en administrer aux patients, faire des plâtres et tout.. le truc de dingue).
Ces deux là ne seraient-ils pas faits pour se rencontrer ?

Et si, d'aventure, cette rencontre ne se faisait pas ?
Si le bébé restait là, à l'hôpital, dans une structure de soins, des heures durant, très douloureux, mais sans prise en charge adéquate de la douleur ? (hypothèse de recherche, détendez-vous allons, personne ne vous accuse et je me flagelle en ce moment même pour expier d'avoir pris le risque de vous blesser ; j'ose espérer que vous pardonnerez mon imp(r)udence)
À qui ou à quoi cet état de fait pourrait être, éventuellement, à tout hasard, vaguement reproché ?
Pourrait-on parler - avec moult précautions, sans généralisations ni amalgames ni égratigner la confiance aveugle et totale que nous vous devons - d'une erreur ? Une erreur petite, rikiki, minusculette, à peine visible au microscope à balayage électronique. Une poussière d'erreur, le genre d'erreur qui arrive à tout le monde, et vous porte à croire que les fractures ce n'est pas douloureux, les antalgiques inutiles, et qu'un fémur et un tibia à deux ou trois détails près c'est pareil.

Et si cette erreur ne se produisait pas une fois par siècle, mais plus souvent ? Disons deux fois. Ou quatre à cinq fois. Ou plus. Par an.
Imaginons (oui, encore, faute de rapports sur le sujet nous en sommes réduits à extrapoler et nous perdre en conjectures) que des témoignages (faux, exagérés, volontairement méprisants envers votre noble corporation, par jalousie - ou par ennui faute d'un abonnement à Netflix) se multiplient (le grand remplacement de la parole des médecins par celle des patients), et que des rumeurs (infondées) persistantes (MAIS INFONDÉES) portent à croire (chez les ignorants, les traitres et les impies) qu'il se pourrait, PEUT-ÊTRE, qu'en France (ou ailleurs, dans une dimension parallèle - hypothèse de recherche..) existe une forme (ténue, imperceptible) de problème (qui n'attendrait que d'être résolu par vos esprits éclairés) de prise en charge de la douleur : qu'en pensez-vous ?

Rapport de la HAS "La maltraitance ordinaire dans les établissements de santé", 2009
Dans l'hypothèse (de recherche) hautement improbable où nous porterions crédit à ces hérésies, comment expliqueriez-vous ces phénomènes (paranormaux, pour le moins) ?
Comment se pourrait-il qu'un médecin, un soignant, n'oublie pas de désinfecter une plaie, mais oublie parfois de traiter la douleur ?
Chacun sait que la douleur.. fait mal, qu'il existe des moyens efficaces de la détecter et de l'apaiser, voilà pourquoi je m'étonne que quelques médecins et soignants puissent ne pas y penser, involontairement, fortuitement, par mégarde ou victimes momentanées du sort "Oubliettes".

Et du coup (toujours dans le cadre d'une simple hypothèse de recherche), que pourrions-nous faire pour que ça n'arrive plus du tout (ou juste une fois par siècle) ?

Je vous laisse avec ces interrogations, je ne sauve pas de vies mais j'en élève deux, et ça aussi c'est du boulot (des astreintes 24h/24, 7j/7, je pense me syndiquer prochainement). Et justement le boulot m'appelle.

Cordialement, respectueusement, admirativement, béatement, bien à vous.


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Post-scriptum :

Quelques difficultés de communication sont apparues.. : https://twitter.com/LBF_LaBonneFee/status/745856670597779456
Et enfin ce billet, garanti 100% sans insultes.

Bonus :
Maltraitance ordinaire dans les établissements de santé, autre extrait : https://pbs.twimg.com/media/ClpFsCHXIAAFWSy.jpg 

2 commentaires:

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