lundi 25 janvier 2016

Un commentaire sur "Qui a le droit de critiquer le corps médical ?"

De bon matin, ce matin oui voilà, je lisais ce billet de Martin Winckler : "Qui a le droit de critiquer le corps médical ?", une problématique que je connais bien étant atteinte de "la maladie des os de verre" (ostéogenèse imparfaite sévère) et mère de jumeaux (une fille et un garçon, la parité n'est pas un vain mot) tous deux atteints de la maladie également. 
Bref : les hôpitaux, médecins, l'institution médicale – et son évolution désastreuse vers un modèle d'entreprise à vocation de service public rentabilité, et le management qui va avec – me sont familiers.
 
Et des mots comme « Vous n'y connaissez rien, vous n'êtes pas médecin », ou toute autre justification foireuse visant à esquiver des critiques de la part des patients ou tout simplement de la part de la société (une pensée pour le Norcuron le Dr Bonnemaison) me sont aussi familiers.

Mais si je peux concevoir qu'une critique, un reproche, soit difficile à entendre, j'ai bien plus de mal à comprendre pourquoi tout ce qui sort de la bouche du patient ou de ses proches est frappé du sceau d'infamie. Ouiiii certes, j'exagère un peu, mais c'est plus ou moins le ressenti que me laissent bon nombre d'entretiens, conversations, et autres palabres échangées (quoi que : peut-on parler d'échange lors d'un hautain monologue ?) avec des médecins et du personnel soignant.
[Le pire étant sûrement « Mais non ça ne fait pas mal ! » Je vais te faire la même chose Ducon, tu vas voir si ça fait pas mal #NanMéDitesDonc]

Il n'y a donc pas que les critiques qui passent mal auprès de certains (nombreux tout de même) médecins et personnel soignant, mais parfois aussi les recommandations ou conseils. Quand ce n'est pas l'énoncé de simples faits.

Exemples récents.

Mon compagnon emmène notre fils âgé de 14 mois à l'hôpital, l'infirmière qui prend en charge notre bébé aux Urgences :
- C'est pour quoi ?
- Mon fils a la jambe cassée, il..
- Comment vous le savez, vous êtes devin ?
Alors, hm. Bon.
NON EFFECTIVEMENT SOMBRE CONNASSE ON N'EST PAS DEVINS, mais si tu avais laissé mon compagnon finir sa phrase il aurait pu préciser, ce qu'il s'apprêtait à faire, que notre fils a une ostéogenèse imparfaite sévère et qu'en conséquence, des pleurs et hurlements lors de la mobilisation d'un membre ainsi qu'un enflement sont plus qu'indiqués pour suggérer une suspicion DE FRACTURE, et engager immédiatement le protocole adéquat – à savoir anti-douleurs et radios, de rien pour la leçon sur comment faire ton travail, c'est gratuit. 

Trois semaines plus tard, j'accompagne notre bébé à l'hôpital pour faire retirer son plâtre pelvi-pédieux suite à une fracture du fémur (comment Diable avions-nous réussi à la diagnostiquer ?!, c'est sûrement qu'on est devins..).
J'indique alors au plâtrier que pour les prochaines fois (oui j'ai deux bébés atteints d'OI, alors forcément il y aura des prochaines fois, c'est comme ça), il faudra davantage rembourrer le plâtre au niveau de la colonne vertébrale (l'arête du plâtre risquant de fracturer la colonne et d'entrainer une lésion médullaire, c'est pas rien) et aussi davantage dégager le plâtre autour de la jambe "valide" (non plâtrée) car un bébé ça remue beaucoup les jambes, et mon fils se cognait le fémur contre le plâtre (ce qui n'est environ pas indiqué quand l'enfant présente une ostéogenèse imparfaite - JE DIS ÇA JE DIS RIEN HEIN..).

Et bien le plâtrier s'est montré tout à fait dédaigneux, me lançant un « Oui on pourrait enlever tout le plâtre pour que ça ne le gêne pas ! ».
J'ai ravalé à grand peine mon envie de "l'emplâtrer" - haha - pour lui réexpliquer en quoi les précautions que je demandais étaient justifiées MÉDICALEMENT, et ça a fini par rentrer - enfin j'espère.

Mais voilà : c'est chiant, fatiguant, pénible à la longue de tomber sur des pignoufs pareils, vraiment. Notre parole n'est pas entendue, pas crue, pas prise en compte, sous-estimée, minimisée, voire moquée ou méprisée. C'est moi, non médecin, qui suis constamment obligée de rappeler en quoi telle ou telle demande que je formule ne tombe pas du ciel de mes fantasmes d'hérétique non initiée mais bien d'une justification médicale.
Ils sont médecins putain, ou IDE, aides-soignants, plâtriers, radiologues, kinés etc.. les justifications médicales c'est pas eux qui sont sensé les fournir ?!


Mise à jour du 26/01/2016 :

Je n'ai pas tout dit dans les lignes précédentes : je n'ai pas mentionné LA CAUSE de la fracture de mon fils. Je ne l'ai pas mentionnée de peur que "ça fasse trop", qu'on ne me croit pas, que ça desserve mon propos. Mais face à l'afflux de consultations de ce billet, et avec un peu de recul, j'en arrive à la conclusion que, pour espérer faire comprendre à quel point le mépris ou manque de considération à l'égard de la parole des patients ou de leurs proches peut avoir de graves conséquences, je dois vous expliquer tout ce qui s'est passé.

C'était le matin du 31 décembre 2015. Mon compagnon et moi emmenons nos jumeaux à l'hôpital pour un vaccin (vaccin qui, nous a-t-on dit, doit obligatoirement se faire en milieu hospitalier - bon..). Leur maladie et extrême fragilité est connue, théoriquement : c'est l'hôpital où j'ai accouché, l'hôpital qui a pris en charge mes bébés dès leur naissance (très) prématurée, l'hôpital qui connait le diagnostic de leur maladie depuis leur vie intra-utérine – quand même. D'habitude, le personnel soignant est plutôt réceptif à nos recommandations.
Mais pas ce jour là.

Normalement, pour le moindre soin, on pose un enfant atteint d'OI à plat, sur le dos, sur une table d'examen parfaitement dégagée (afin que l'enfant ne se cogne nulle part ni ne se coince un bras ou une jambe contre du tissu, des jouets, ou du matériel). On conserve aussi ainsi un parfait contrôle visuel sur chaque membre, pour s'assurer que tout va bien.
Ce jour là, l'IDE présente a ignoré "le protocole" – c'est pas faute de leur rappeler pourtant – et a demandé à mon compagnon de garder le bébé dans les bras.

Normalement, on déboutonne tout l'entrejambe (voire tout le body / pyjama en fonction de la zone à examiner) pour que l'enfant ne se coince pas dans ses vêtements, et pour éviter d'avoir à "tirer" sur ses habits (ce qui occasionne une pression sur le squelette, surtout sur les os longs) lors du soin ou traitement.
Ce jour là, l'IDE n'a pas jugé utile de tout déboutonner, et a tiré sur le vêtement entre deux boutons pour atteindre la zone qu'elle souhaitait.

Normalement, on fait très attention lors de la moindre manipulation ; on évite les pressions, les maintiens trop fermes, et surtout les chocs et torsions.
Ce jour là, l'IDE a tourné la jambe de mon fils en rotation externe pour mieux atteindre la cuisse.

Et voilà ce que donne un simple vaccin, quand on ne respecte pas le protocole, sous-estime la parole des parents (ici, sur la fragilité extrême d'un bébé atteint d'OI sévère), et ignore leurs recommandations :



Cerise sur le gâteau d'un 31 décembre décidément bien foireux, lorsque notre fils s'est mis à hurler de douleur, son père a tout de suite compris et s'est exclamé : "C'est cassé !"
Qu'à répondu l'infirmière ? "Mais non c'est pas cassé..".

Ainsi, outre la fracture, notre fils n'a eu AUCUNE prise en charge de la douleur sur place, dans un hôpital qui dispose pourtant de tout le nécessaire. Aucune radio de contrôle non plus. Parce que l'IDE : ne nous a pas cru.

Lassés, épuisés par ces dénis si fréquents dans les services hospitaliers, nous n'avons pas protesté. Car, à ce moment là, vraiment, nous avions mais teeeeeeeellement les boules que la moindre tergiversation supplémentaire de la part du personnel nous aurait conduit, nous les parents, à finir ce 31 décembre en garde à vue pour violences volontaires. Or notre fils avait davantage besoin de nous auprès de lui – et pour cause..

Nous sommes donc rentrés, avons effectué une première immobilisation d'urgence de sa jambe fracturée, administré des antalgiques, préparé le sac, et en route – bis – pour l'hôpital (un autre hôpital, qui dispose d'un service d'ortho pédiatrique).

Tout ça. Tout ça parce que les protocoles, critiques, recommandations, conseils, tout ce qui sort de notre malheureuse bouche de patients ou de parents ignorants est pris par-dessus la jambe, TOUJOURS, à un moment ou à un autre dans le parcours de soin.

Alors à la question de Martin Winckler "Qui a le droit de critiquer le corps médical ?" je réponds volontiers :