mardi 17 septembre 2013

Affaire "@JulieDelPapa" - Le (mini) guide juridique du Twittos

Super ! Un nouveau scandale agite la twittosphère ! Je vous accorde que l'objet du scandale n'est pas "super" en soi, loin s'en faut... mais ce qui est super, c'est que cela nous donne l'occasion de réviser deux lois / principes juridiques bien utiles à connaître, notamment lorsqu'on est une femme à qui d'aimables interlocuteurs souhaitent de se faire violer, tuer, ou autres politesses : 
* la provocation aux crimes et délits
* et l'obligation d'enregistrement de plainte par les services de police et de gendarmerie.


"JulieDelPapa" est une internaute comme d'autres.
Comme d'autres, elle est engagée politiquement.
Comme d'autres, elle est antifasciste.
Comme d'autres, elle reçoit des tweets peu délicats de la part de militants d'extrême-Droite et d'une UMP décomplexée (décomplexée de faire la manche, je présume).

Mais entre des tweets "de bonne guerre" entre militants, et des tweets d'incitation au viol, il y a une marge. Un fossé. Le Grand Canyon. Dans lequel la Droite et l'extrême-Droite ont sauté, à pieds joints et sans parachute, en prenant leur élan :


Bonne question !... Dire à propos de quelqu'un, sur un réseau social public : "Elle mérite une belle tournante sans GHB", c'est quoi ? 
("C'est d'la merde", d'accord. Mais ce n'est pas un argument recevable devant un tribunal - restez courtois, bordel)
Le tweet "Elle mérite une belle tournante sans GHB" - ainsi que de nombreux autres qui l'ont suivi - peuvent être assimilés à de la provocation de crimes et délits, qui est définie - et punie - par les articles 23 et 24 suivants :

Article 23 <= ça se clique

Seront punis comme complices d'une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, auront directement provoqué l'auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d'effet.

Cette disposition sera également applicable lorsque la provocation n'aura été suivie que d'une tentative de crime prévue par l'article 2 du code pénal.

Article 24 <= ça se clique aussi (vous avez le droit d'être béats d'admiration)

Seront punis de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article précédent, auront directement provoqué, dans le cas où cette provocation n'aurait pas été suivie d'effet, à commettre l'une des infractions suivantes :

1° Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne et les agressions sexuelles, définies par le livre II du code pénal ;

2° Les vols, les extorsions et les destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes, définis par le livre III du code pénal.

Ceux qui, par les mêmes moyens, auront directement provoqué à l'un des crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation prévus par le titre Ier du livre IV du code pénal, seront punis des mêmes peines.

Seront punis de la même peine ceux qui, par l'un des moyens énoncés en l'article 23, auront fait l'apologie des crimes visés au premier alinéa, des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou des crimes et délits de collaboration avec l'ennemi.

Seront punis des peines prévues par l'alinéa 1er ceux qui, par les mêmes moyens, auront provoqué directement aux actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal, ou qui en auront fait l'apologie.

Tous cris ou chants séditieux proférés dans les lieux ou réunions publics seront punis de l'amende prévue pour les contraventions de la 5° classe.

Ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ou de l'une de ces deux peines seulement.

Seront punis des peines prévues à l'alinéa précédent ceux qui, par ces mêmes moyens, auront provoqué à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap ou auront provoqué, à l'égard des mêmes personnes, aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal.

Autrement dit :
la provocation de crimes et délits est pénalement répréhensible (article 23),
même s'il s'agit d'un tweet (article 23),
notamment s'il s'agit d'appeler / d'inciter à des viols ou des agressions sexuelles (article 24),
et même si cette provocation n'a pas été suivie d'effets (article 24).

Formidable !, me direz-vous. Pour fêter ça, promenons-nous dans les bois (même s'il fait un peu frisquet ces temps-ci), et faisons une halte au commissariat pour porter plainte.

"Tu la sens bien ma grosse impunité, là ?" Oui oui, on la sent bien.

Pas drôle, hein. Mais pas faux. Les policiers n'ont pas ri (pas cette fois du moins), mais ils ont refusé d'enregistrer la plainte de JulieDelPapa :
« Notre camarade s’est immédiatement rendue au commissariat pour porter plainte, mais les services de police ont cherché à l’en dissuader (...) et n’ont fait finalement qu’accepter qu’elle dépose une main courante. »

Question : est-ce que la police ou la gendarmerie ont le droit de refuser d'enregistrer une plainte ? 
NON.
La police judiciaire est tenue de recevoir les plaintes déposées par les victimes d'infractions à la loi pénale et de les transmettre, le cas échéant, au service ou à l'unité de police judiciaire territorialement compétent.
Tout dépôt de plainte fait l'objet d'un procès-verbal et donne lieu à la délivrance immédiate d'un récépissé à la victime. Si elle en fait la demande, une copie du procès-verbal lui est immédiatement remise.
Synthèse : Le Défenseur des droits, saisi d’une réclamation relative à un refus d’enregistrer une plainte, constate un manquement à la déontologie et demande qu’il soit rappelé aux fonctionnaires de police du commissariat de Nanterre, et plus généralement, en raison de la fréquence des manquements constatés à ce sujet, à tous les services de sécurité habilités à recueillir les plaintes, l’obligation qui s’impose à eux, en vertu de l’article 15-3 du code de procédure pénale et de l’article 5 de la charte de l’accueil du public et de l’assistance des victimes, de recevoir les plaintes des victimes d’infraction pénale.

Voilà voilà.


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"Il y a un message de justice dans chaque balle que je tire."
Jorge Rebelo

4 commentaires:

  1. Une lettre au procureur, ça remplace une plainte.

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    1. Exact.
      Enfin ça ne "remplace" pas une plainte, mais en alertant le procureur de la République il peut exiger l'enregistrement de la plainte par les services de police, ou directement se saisir du dossier en poursuivant en justice les auteurs (présumés) d'infraction pénale.

      Pour ce qui est de la lettre, le signalement d'infraction pénale - et du refus d'enregistrement de plainte le cas échéant - au procureur, il vaut mieux envoyer la lettre sous pli en recommandé avec accusé de réception (et garder une photocopie de la lettre et éventuellement des documents envoyés).

      Merci pour le rappel de cette possibilité, Gilles :)

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  2. Les flics ont sûrement dû lui demander comment elle était habillée quand elle était sur Twitter...(ce monde donne envie de boire du lave-vitre).

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    1. "Les flics ont sûrement dû lui demander comment elle était habillée quand elle était sur Twitter..."
      => haha ^^'
      T'es pas tombée loin de la vérité mon Ficus ! Dès que les flics ont su qu'elle était au Parti de Gauche, et militante antifa, comme de par n'hasaaard ils n'ont pas voulu enregistrer la plainte. Être court vêtue ou être militante antifa, c'est pareil ma bonne dame. SI TU FAIS TOUT POUR EXCITER LES CONS AUSSI HEIN, faut pas t'étonner ! Rien de tout ceci ne serait arrivé si JulieDelPapa était tranquillement restée chez elle à faire la vaisselle. Sur l'air de "Maréchal nous voilà" de préférence.

      "(ce monde donne envie de boire du lave-vitre)"
      Allons allons, ne nous trompons pas d'ennemi... Boire du lave-vitre, non. FAIRE BOIRE du lave-vitre, why not :D
      Gardons en mémoire cette fabuleuse et simple vérité, énoncée par le Général Patton (au début du film) :
      « Mettez-vous bien dans la tête qu'un connard n'a jamais gagné une guerre en mourant pour son pays. On gagne une guerre en faisant ce qu'il faut pour que les pauvres connards d'en face meurent pour leur pays. »

      ;)

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